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Gutta cavat lapidem

J'avais prévu hier matin d’écrire une brève pour informer les lecteurs de ce site de la participation de l’Amicale aux Journées du patrimoine, en coordination avec l’ASMV,  les 19 et 20 septembre 2015, à Combrée, dans un lieu qui reste à définir, mais que j’espère être le collège. Voilà qui est fait. Seulement la brève s’est vite transformée en article. 

Les trois lignes originelles sont devenues deux pages et puisque je n’avais aucune raison de remiser ces pages dans un coin de mémoire informatique, je vous les livre in extenso. L’été étant paraît-il une saison propice à la lecture, vous en ferez peut-être l’usage.

Une des définitions du mot patrimoine donnée par le Petit Robert est celle-ci : « Ce qui est considéré comme une richesse transmise par les ancêtres ». Si l’on s’en réfère à cette définition, il est évident que notre collège porte une double richesse, celle de son architecture et celle de sa vocation éducative, autrement dit de sa vocation à transmettre des savoir et un esprit. Ces deux richesses, architecturale et éducative, sont intimement liées, et plus j’observe ces sobres mais beaux bâtiments plus je m’aperçois qu’elles sont indissociables, l’une ne peut pas aller sans l’autre. C’est, me semble-t-il, la raison pour laquelle ces bâtiments n’ont pas encore accepté d’être réoccupés. Mus par une volonté singulière, par la vigueur d’une résistance sui generis, ils préfèrent attendre qu’on les traite avec les égards qu’ils méritent. Ils veulent qu’on leur restitue ce qui a fait leur âme, attendant patiemment que vienne se réimplanter dans leurs murs une communauté portée par le désir d’instruire et de s’instruire selon des rites établis au commencement de leur histoire en 1810. En définitive, ils aimeraient qu’on leur redonne l’honorable titre de collège.


On connaît la fable de Jean-Pierre Claris de Florian qui a pour morale : « Chacun son métier et les vaches seront bien gardées ». Ainsi, le menuisier fait des portes, des volets et des fenêtres, le charpentier assemble les pannes et les chevrons avec des tenons et des mortaises pour fabriquer des charpentes, l’un et l’autre participent à la construction des planchers et des escaliers, le couvreur pose des tuiles ou des ardoises, le tailleur de pierre confie le fruit de son travail au maçon qui en fait des murs, des frontons et des colonnes, le maître d’œuvre coordonne les efforts de ces artisans selon les plans dessinés par l’architecte. C’est dans l’ordre des choses, c’est selon cet ordre immuable que fut édifié le collège. Et si l’on s’avise de confier la menuiserie au maçon et la maçonnerie au menuisier, on s’aperçoit à ses dépens que rien ne va.

Je fais un codicille à la fable de Claris de Florian pour dire : « À chaque architecture sa carrière ». De la même façon que les métiers possèdent des champs d’application qui leur sont spécifiques, chaque ouvrage selon sa constitution, qu’il soit cathédrale, château-fort, théâtre, arène ou école est destiné à une carrière qui lui est propre. Le théâtre accueille un public et des troupes de comédiens, la cathédrale des fidèles et des prêtres, et l’école des écoliers et des professeurs. Modifier la destination de ces ouvrages conduit à des aberrations, sinon à des monstruosités. Car dès que l’on détourne un de ces lieux d’un usage qui n’est pas le sien, dès qu’on le travestit, qu’on le grime sous les traits d’un autre, on le diminue.

J’ai vu récemment à Toulouse, dans un couvent reconverti en musée – a-t-on remarqué comme tout devient musée, comme tout s’immobilise dans des vitrines, comme tout s’enorgueillit du passé plutôt que de s’activer à bâtir un avenir ? Non, sans doute que non. Mais c’est une autre histoire… –, des transats qu’on avait dépliés sous les cloîtres pour que les touristes viennent y soulager leur goutte entre deux stations debout. Il faut croire que ces visites épuisent, qu’elles sont un chemin de croix. Bref, ainsi fréquenté par la marée touristique, ainsi orné de quelques mauvaises croûtes qu’on avait pendues aux cimaises et de sculptures disposées au petit bonheur dans des couloirs et des halls, le couvent ne ressemblait plus à un couvent. Pour être clair, il ne ressemblait à rien. On aurait dit qu’il implorait qu’on vînt le libérer du foutoir dont on l’avait encombré et qu’on lui missionnât subito, en remplacement de ce foutoir-là, une phalange d’ermites de Saint-Augustin. Exemple criant d’un bâtiment dévoyé.

Salle d'histoire et de géographie, 1944

Plus j’observe le collège, disais-je, plus je me persuade que non seulement il ne disparaîtra pas mais que son destin est de renaître dans les habits de l’éducation. Les bâtiments ont été taillés pour cela. Souvenez-vous de ce cloître à l’allure monastique guidant paisiblement les élèves bavards d’une classe à l’autre, de la chapelle discrète rythmant les cours du tintement de sa cloche d’airain, des immenses dortoirs où la communauté des internes se repose en silence de sa journée d’études, du parc fait pour rappeler aux habitants des lieux leur place au milieu de la nature. Parfait accord entre une architecture et sa fonction. C’est probablement ce destin que notre association doit servir : œuvrer pour que le collège revienne à ce qui fait le fondement de son existence. Lui réaffecter des élèves, des internes pour ses dortoirs, des professeurs, des surveillants, un économe, un directeur, un jardinier, des cuisiniers, un bibliothécaire, tous ceux qui furent autrefois sa raison d’être. J’ignore le moment de cette renaissance, mais je gage qu’elle se produira, en dépit des fâcheux qui ne jurent que par la dislocation des racines culturelles et la dilution des savoirs

On a récemment décidé d’évincer – ou de presque évincer, c’est tout comme - le latin et le grec des programmes scolaires. Pourquoi pas les mathématiques, l’histoire, la géographie ? Pourquoi pas aussi le français ? Il est tellement commode de tout supprimer, de tout démolir, de tout amoindrir. Tellement plus commode évidemment que d’ajouter, de construire et de faire grandir. Pour le plaisir de la controverse, seule attitude raisonnable en ces temps dissolvants, je vous ressers donc un peu de latin : Gutta cavat lapidem, non vi sed saepe cadendo, que je vous confie bien sûr le soin de traduire littéralement – ne l’avez-vous pas appris autrefois, le latin ? Patience et longueur de temps aurait dit Jean de La Fontaine. À la fin, par l’addition de nos actes, tractation après tractation, requête après requête, volonté après volonté, le collège, sous une forme ou une autre, redeviendra collège. Il n’est pas pour lui de plus bel habit.

Vous avez des amis, ces amis ont des amis. Soumettez leur ce projet. Lorsque nous aurons trouvé un ou plusieurs mécènes éclairés, lorsque nous aurons agrégé à notre association suffisamment de volontés et de moyens, il sera possible de persuader une équipe de professeurs de venir officier dans les salles de classe où peuvent encore s’entendre les échos lointains d’illustres prédécesseurs.

J’ai cité deux fabulistes dans le fil de ce texte, La Fontaine et Florian, ce qui ne signifie pas que mon propos ait quoi que ce soit d’une fable. Il me paraît plutôt esquisser une réalité. L’avenir, j’en suis sûr, le démontrera. Et puis, quand bien même j’aurais écrit une fable ! Les fables ne sont-elles pas faites pour rappeler les plus incontestables des vérités ?

JMG

 

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Depuis 1810

En 1810, François Drouet (1775-1837), professeur et abbé, fut affecté à Combrée. Sa vocation d'éducateur et son talent d'entrepreneur présidèrent à la construction du remarquable bâtiment qui s'élève aujourd'hui encore sur la colline de la Primaudière. En près de deux cent ans, dix mille élèves fréquentèrent l'institution d'exception qu'il avait fondée.


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